Résumé de l’épisode précédent : non, en fait, relisez ceci
http://chroniquesdebroz.blogspot.com/2007/10/biodcouverte-pourquoi-clint-mansell-est.html
Un mercredi soir, 21h30. Jérémie rentre du basket. En posant ses affaires, il découvre un mot laissé en évidence sur le plan de travail de la cuisine : « Je suis partie à une soirée entre copines, il y a une pizza au congélateur. Bonne soirée poussin ! Bernie ». Un « Yeeeeeeeees ! » jubilatoire se fait retentir dans toutes les pièces de la maison. « Marathon WoW en vue ! ». Pizza enfournée, siège déplié, canette de coca déposée, sachet de Twix éventré, Jérémie était paré à croiser la souris et le clavier avec des trolls pixélisés. Mais il n’était pas au bout de ses surprises…
Lorsqu’il voulu ouvrir une session, quelle ne fut pas sa surprise lorsque son ordinateur lui réclamait maintenant un mot de passe. « Samayr la dinde ! » grommèle notre jeune padawan, « c’quoi c’délire ?! ». Résolu, et légèrement agacé, Jérémie se décide à cliquer sur [Invité]. Nouvelle surprise ! Impossible d’accéder au contenu du pc, une petite boîte s’ouvre dans laquelle s’inscrit en lettres grasses « Restriction Administrateur » à chacun des pauvres clics de Jérémie. Sur le bureau, rien d’autre que des raccourcis vers le navigateur Internet, le gestionnaire de courriels, et un mystérieux fichier texte nommé « Petit guide de survie... ». À la lecture de ce dernier, notre cher ami comprit que ses plans allaient être quelque peu atermoyés.
« Poussin,
Je sais que tu vas pester, mais ce soir, je joue au despote éclairé. Tu sais que je t’aime énormément mais j’en ai marre de ton horrible musique et de ton manque de curiosité. Alors j’ai décidé d’organiser un petit « jeu de pistes » (tu comprendras très vite où je veux en venir), en te faisant apprécier une musique que tu n’as pas l’habitude d’écouter, histoire de voir jusqu’où tu es borné.
Comme tu as pu le remarquer, j’ai volontairement bridé ton ordinateur afin que tu n’aies pas accès au reste du pc ; et ne cherche pas dans tes placards, j’ai aussi caché tes cds dans un endroit de la maison que je te dévoilerai au bout de ce jeu. Ne tente pas non plus de te connecter aux autres sites que ceux que je te donnerai, j’en ai verrouillé les accès… »
« Mais qu’est-ce que c’est que ce bordel ?! » Jérémie n’en revenait pas. Sa mère était devenue une accros du net et aux nouvelles technologies, de la culture underground, une sorte de néo-hippie qui défend le droit à une autre culture, et pire que tout, elle avait décidé de faire partager tout ça avec son fils.
Ce dernier continue sa lecture. « Ce soir, c’est soirée découverte mon chou. Je t’explique le principe : tu vas aller sur un site que j’ai mis à ta disposition pour écouter un album. Au fur et à mesure que tu avanceras dans l’écoute des pistes (tu commences à comprendre maintenant ?), tu recevras automatiquement des petits mails que j’ai préparé avec beaucoup d’amour t’expliquant pourquoi tu entends telle ou telle choses, l’histoire du groupe, leurs diverses influences, ne serait-ce que pour élargir un tout petit peu ton univers musical aussi fermé qu’une moule enrhumée. En récompense à ce jeu, je te donnerai le mot de passe de ton pc, ainsi que l’endroit où se trouvent tes cds, bon deal non ? L’écoute totale dure un tout petit peu plus d’une heure… je pense que tu y survivras ! Bien sûr, il va s’en dire que si tu sautes une étape, rien de tout cela ne fonctionnera :) ».
Jérémie était maintenant totalement circonspect. « Mais quelle sadique !!! » Il en était réduit à suivre les injonctions de sa mère, chose à laquelle il essayait tant bien que mal d’échapper. Mais là, elle avait frappé fort. Aucun respect pour ses disques de Green Day ou bien ? Mais merde, c’est pas si pourri Good Charlotte ! « Bon, c’est qu’une heure, et après zou, à l’assaut pour niquer ces connards d’elfes ! ».
Il termine sa lecture. « Voici le point de départ de ton voyage Poussin : http://brozev.free.fr .C’est un Radioblog contenant les six pistes de l’album dont je vais te parler pendant cette heure. Commence bien par la première piste, tu recevras le premier mail contenant quelques informations… Bonne écoute Poussin ! ».
Pas le choix, Poussin ouvre donc le navigateur. « Non, mais c’est abusé, j’suis sûr qu’elle me fait flipper avec ces histoires de bridage toussa là. » Jérémie essaye donc quelques adresses Internet au hasard. Systématiquement, il tombe sur une erreur 404. « Samaaaaaaaaayr !!! ». Plus de doute, il fallait suivre les indications… La page se charge, et Jérémie découvre le Radioblog en question. Pas de titre, pas de nom de morceaux, juste « piste 1 », « piste 2 » etc. Maman Poussin complique la donne ! Jérémie lance alors la première piste. Des sons sourds, graves s’échappent de ses enceintes. Des guitares s’étirent pour créer un espace nouveau, comme si une dimension venait de s’ouvrir dans la pièce. Une petite icône clignotte en bas de l’écran, le premier mail vient d’arriver.
« De : bernadetteinthesky@gmail.com À : d4rks1d3f0r3st@hotmail.fr
objet : Piste 1, le départ « Prognoz »
Voilà Poussin, bienvenue au début de ce voyage. La première piste que tu écoutes s’intitule Prognoz. Elle est extraite de l’album Golevka du quintet rock suisse The Evpatoria Report, sorti en 2005. Tu as sans doute dû remarquer que la musique prend son temps, que les mélodies ont d’abord laissé place à une certaine ambiance, et que surtout, il n’y a pas de chanteur qui braille des poncifs aussi lourds qu’une recette de Maïté. C’est ce qu’on appelle du Post Rock. Quel drôle de nom tu me diras, mais peu importe. Écoute ce qui sort de tes enceintes. Lentement, les guitares deviennent de plus en plus intenses. Une rythmique lancinante s’installe et te berce.
Et à 3’37’’ c’est l’explosion, comme si tu venais d’entrer dans une supernova. Tu sens les brûlures de la batterie et des guitares déferler, et tu es déjà très loin. Puis revient le calme, comme si l’espace sidéral s’ouvrait enfin à toi. Tu te laisses guider par ce violon qui fait écho à ce cataclysme.
5’52’’, la guitare revient et tu te balances sur la valse de cet arpège. C’est trop tard, tu es surpris à hocher la tête comme un autiste, mais tu es bien dans ce nouveau monde qui s’offre à toi. Tout s’enchaîne, la batterie t’enfonce encore un peu plus loin dans cette danse à trois temps. Jusqu’à la nouvelle supernova.
10’25’’, savoure cet instant, jusqu’à la dernière note. C’est bon n’est-ce pas ? Je te laisse, jusqu’au prochain mail… »
Les doutes de Jérémie se sont dissipés ; Bernadette était peut-être étrange, mais elle avait de bonnes idées parfois. Ça n’était plus une simple écoute, mais une grosse baffe dans la gueule de toute sa culture musicale, il ne comprenait pas vraiment que l’on puisse construire de musique ainsi. Il avait trouvé ça long au début, intriguant par la suite et maintenant, il était dans l’expectative du prochain mail. L’envie d’en savoir un peu plus sur le groupe le démangeait, presque autant que la frustration de ne pas pouvoir se servir de son ordinateur. Le son sourd à la fin de Prognoz, et Jérémie se rend à peine compte qu’il est déjà sur la piste deux.
Des bruits et des voix issue d’une communication spatiale se font entendre. Ça ne fait que confirmer les impressions déjà très présentes de Jérémie. Cela confère à cette musique une dimension très cinématographique, comme si une navette dérivait dans le vide, mais sans aucune crainte, sachant pertinemment qu’il n’y aura pas de fin tragique. Et les guitares et le violon appellent à cette lueur d’espoir. Clignotement, Jérémie clique sur le nouveau message.
« De : bernadetteinthesky@gmail.com À : d4rks1d3f0r3st@hotmail.fr
objet : Piste 2, toujours plus « Taijin Kyofusho »
Je sais à quoi tu penses, je te l’avais dit ! Un véritable voyage interstellaire ! Savais-tu que Evpatoria est une ville d’Ukraine dans laquelle se trouve un observatoire de vie extraterrestre ? Pendant que tu apprécies cette deuxième plage, je m’en vais t’en dire un peu plus sur le groupe dont il est question. The Evpatoria Report donc, formation helvète composée de cinq membres : deux guitares, une basse, une batterie, et un clavieriste/violoniste. Ils ont déjà sorti en 2003 un EP contenant deux pistes (Naptalan et Voskhod Project que tu peux télécharger ici : http://www.the-evpatoria-report.net/sounds.html ) déjà très prometteuses. En 2005 sort leur premier album, que tu es actuellement en train d’écouter, intitulé Golevka, et publié chez Shayo Records. Ils leur arrivent parfois de partager la même scène avec des groupes comme Mono (très proche de Mogwai, un peu trop même), ou les Red Sparrowes. Comment pourrais-je définir cette musique ? Je te parlais de Post Rock tout à l’heure, qui pourrait se définir comme un rock privilégiant l’émotion et l’atmosphère générale plutôt qu’à un étalage de démonstration technique, ou à de l’onanisme du secouage de manches en tout genre ! Non, ici on prend son temps, on laisse se développer les paysages, ou chaque piste est comme une nouvelle planète à explorer. Je pense à des groupes comme Godspeed You ! Black Emperor, Mogwai, et Explosions in the Sky que je te recommande fortement. Mais aussi des moins connus comme Yndi Halda, Tristeza, ou Sebastien Schuller dont je te parlerai certainement un jour, ou alors que tu découvriras par toi-même ! La plupart de ces gens puisent leur inspiration dans une musique proche d’une construction classique, permettant à chaque atmosphère de se développer pour créer davantage de complicité avec l’auditeur, et le transporter dans des paysages dont lui-seul pourrait en dépeindre les couleurs. Mais reprenons là où nous en étions…
2’35’’, la batterie fait son entrée, tu es pris dans l’attraction de cette nouvelle planète, et au lieu de descendre comme cela serait logique, tu montes, tu montes… 5’25’’, ce petit riff intriguant t’emmènes dans des chemins tortueux, toujours vers cette pente ascendante, jusqu’au point de non-rupture… Bon voyage poussin ! »
Poussin est parti loin maintenant, et il ne reviendra pas de si-tôt. Tout au long de ses lectures, il vogue sur le web au gré des différentes pistes, allant de sites en sites (notamment myspace.com/theevpatoriareport, ou encore ceux des groupes cités par sa mère) tout en continuant son exploration interstellaire. Les pistes s’enchaînent, ainsi que les mails. Bernadette continue de décrire avec amour ces différentes planètes que composent le système Golevka. La troisième piste, Cosmic Call, est comme son nom l’indique un appel à l’harmonisation et à la communion avec cette douce mélancolie qui anime les vides les plus latents, mais toujours teintés d’une douce lumière, comme une aube sans fin. Puis C.C.S. Logbook, un peu plus enlevé. C’est véritablement les guitares et la batterie qui s’imposent, pour inviter à un voyage mouvementé dont la fin abrupte laisse supposer comme une volonté de ne pas résoudre cette tension qui anime parfois les conflits entre instruments, chose qui finalement révèle l’intérêt de se plonger à nouveau dans une introspection, afin de continuer le voyage. Ce que fait parfaitement Optimal Region Selector, nous faisant partager cette ambivalence entre violence et déchirements, onirisme et volupté. Puis vient le sixième et dernier mail, Jérémie clique fébrilement sur l’enveloppe.
« De : bernadetteinthesky@gmail.com À : d4rks1d3f0r3st@hotmail.fr
objet : Piste 6, l’apothéose « Dipole Experiment »
Nous voilà arrivé à la fin de notre voyage Poussin. Comme si le quintet rock ne suffisait pas à exprimer l’entièreté de leurs possibilités émotives, ils leur arrivent de collaborer avec des ensembles tels que L’Orchestre de Ribaupierre ou l’Union Chorale de Vevey. Je te laisse imaginer ce que ce mélange peut donner. Nous ne sommes plus du tout dans le rock, mais dans une composition pour un orchestre ou les guitares appuient les chœurs, les cordes répondent aux passages électroniques/ambiants et où la batterie donne la profondeur d’une composition implacable. Je te laisse savourer cette dernière piste Poussin, car je sais que tu l’écouteras jusqu’au bout. Était-ce si horrible ? J’en doute, sinon tu aurais passé la soirée à chercher tes cds dans toute la maison. Oh, pendant que j’y pense, ils sont dans le garage, derrière les poubelles, que je te demanderai de bien vouloir sortir en passant :). Comme tu as été sage, voici le mot de passe de ton ordinateur : p0u551n, tout simplement, ah ah ! Je ne rentrerai pas avant demain matin, bonne nuit ! »
Jérémie ne lisait plus, il était parti sur sa nouvelle planète. Malgré ses côtés un peu rustre, il n’était pas insensible à certaine chose, et le cadeau de Bernadette ce soir avait fait mouche. Il était résolu à ne plus rester indifférent à sa curiosité, et avait déjà lui aussi quelques projets en tête.
À suivre…